Un magistrat ministre de la justice ! Quelle appréciation faite vous de l’entrée au gouvernement de Monsieur Pius AGBETOME ? Quelles sont vos attentes.
Disons d’emblée que ce n’est pas la première fois qu’un magistrat est nommé Garde des Sceaux ; et le plus récent exemple est le passage de Monsieur Sela Polo, alors magistrat en fonction dans une de nos villes à la tête de ce ministère.
Nous étions à l’époque en plein programme de modernisation de la justice qui a connu un succès dont l’éclat est fonction de votre position par rapport audit programme.
A priori, la nomination d’un magistrat à la tête de l’administration de la justice devrait être une aubaine pour améliorer les conditions de travail et de vie de l’ensemble de ce qu’on nomme aujourd’hui ‘’Corps judiciaire’’, même si en réalité il s’agit d’un ensemble hétérogène de personnes, de fonctions et d’intérêts tellement différents que l’on peut logiquement se demander s’ils peuvent constituer un corps.
La personne de Monsieur Pius AGBETOME ne fait pas polémique ; mieux, il y a une quasi unanimité parmi les magistrats et beaucoup plus encore au Barreau de Lomé, quant à la compétence, la rigueur du raisonnement, la probité et l’honorabilité de l’homme. On ne lui connait pas d’engagement politique, ce qui veut dire soit qu’il respect le principe de la neutralité inscrit dans les statuts des magistrats soit qu’il cache bien son jeu à la manière de certains avocats du Barreau de Lomé découverts récemment. Ces derniers temps, il a affiché des tendances de prédicateur proche des églises chrétiennes charismatiques.
Mais il est juste de se demander si le bon magistrat pétri de moult qualités humaines est ipso facto un bon administrateur de la chancellerie. Les attentes sont plus qu’importantes d’autant plus que les précédents locataires des villas du Palais de l’entente ont tous tenu des discours non suivis d’effet.
En effet, la situation des greffiers qui aurait pu se résoudre simplement comme toutes les autres contraintes liées à la gouvernance d’une administration publique s’est transformée aujourd’hui en une véritable revendication corporatiste qui requiert pour sa résolution beaucoup plus qu’une meilleure organisation en matière de gouvernance administrative.
La nomination des magistrats aux différents postes de responsabilité de l’administration judiciaire n’est plus réglée par les statuts de la magistrature et la réglementation de l’organisation judiciaire mais plutôt des règles de calcul politico-ethnique non écrites et qui sont plus contraignantes et mieux appliquées que les deux premières.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature est de plus en plus un outil de sanction, plutôt qu’un organe qui garanti le respect des règles et principes qui font la fierté d’une magistrature indépendante et efficiente, gage de la justice qui élève les nations.
Le Barreau attend encore la concrétisation de l’aide juridictionnelle promise par le chef de l’Etat depuis 2009.
Notre plus grande inquiétude se trouve être le retour des caciques de l’ancien système. Ils sont généralement des conservateurs qui n’osent aucune réforme ni innovation tant qu’ils ne savent pas à l’avance ce qui en découlerait. Un tel système est naturellement incompatible avec la modernisation et l’évolution tant souhaitées pour le pays. Il faut bien se demander si Pius AGBETOME va seul réussir à faire évoluer la machine si tous les autres freinent des quatre fers pour résister à tout changement. Mais nous osons croire que l’évolution étant dans l’ordre naturel de la vie sur terre, les choses iront beaucoup mieux qu’avant. Vivement que monsieur Pius AGBETOME réussisse son passage à la tête de ce ministère pour une meilleure justice au Togo.
Me Ferdinand AMAZOHOUN
Avocat à la Cour